« Travailler le Dimanche ».

(HAB Galerie, Nantes)

(…) J’ai toujours aimé les dimanches. Enfin, pas vraiment les dimanches, mais les vendredis soir. Mon père me disait : Ce qu’il y a de bien avec les dimanches, c’est qu’ils commencent le vendredi soir, quand on saisit qu’il ne nous reste plus qu’un demi jour de travail avant la fin de la semaine. Nous savons alors, dès vendredi, que le jour d’après est une promesse de temps libre. Ces mots étaient pure poésie à mes oreilles. Alors voilà ! À force de remonter de jour en jour avant le jour d’après, j’en suis peut-être venu à penser que tous les jours de la semaine étaient une promesse de dimanche. Sauf le dimanche, qui dans cette logique, s’expose à être le jour d’avant la semaine de travail. (…)

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(…) Travailler le dimanche, ou faire un travail qui n’en soit pas un. Faire semblant de faire, ne rien faire du tout ou jouer à l’amateur. Cette étrange idée qui oppose le travail et le temps libre, avec ses agencements dans l’espace et le temps. Quand je suis pris dans un dispositif mental de ce type, mes interprétations deviennent productives. En effet (…), si nous reprenons le fil interprétatif de travailler le dimanche, c’est-à-dire faire un travail qui n’en soit pas un, comme tailler sa haie, ou reconstruire Notre Dame en bâtons d’allumettes, ça donne quoi ? Pour un artiste, si nous tirons sur cette ficelle, ça donne quoi ? On touche à la posture ? On joue à l’artiste (comme on joue au jardinier ou à l’architecte) ? Un seul jour par semaine, là où personne ne sera juge ? Surface Tefal à la critique où l’Histoire est congédiée, mise hors-sujet ? Alors ça donne quoi être artiste le dimanche ? Et tous les jours dimanche, ça donne quoi pour un artiste ? (…)
(…) Heureusement qu’il existe un espace d’une ambigüité sophistiquée : la copie. Copier le célèbre tableau de Léonard peut constituer le travail de toute une vie. Il n’en reste pas moins qu’en tant que copie elle ne produira aucune plus-value. Il y a là une vacance unique quant à la rentabilité du travail. Aussi, le travail du dimanche demande une humilité absolue, et met à mort les récompenses sociales et économiques avec une totale et stupide injustice. Voilà pourquoi j’ai choisi de copier le LAROUSSE (le Dictionnaire du Petit Larousse Illustré de 1966). Je ne me mesure pas à Léonard, profil bas, mais cet immense projet excède largement ce que ma vie me réserve de dimanches, et ce quel que soit le jour de la semaine. Ainsi, une petite phrase griffonnée sur un POST-IT peut occuper toute une vie d’homme. (…)
Extraits de l’entretien avec Marie Dupas pour le catalogue « travailler le dimanche », 2021.
(…) En pensant à notre projet, avec les plans de la HAB devant les yeux, je m’imagine une scénographie en forme de pages ouvertes. De grandes pages ouvertes, comme jetées au vent, qui rappelleraient ce tableau sublime de Katsushika Hokusai : Le Coup de Vent dans les Rizières d’Ejiri… Mettre le vent au cœur du dispositif en un paradoxal scripta volant. (…)
Extrait d’une lettre envoyée à Marie Dupas, 2020.
(…) Il me dit : « les mots sont comme des mines anti-personnelles. Un jour, l’un d’entre eux explosera et il en sera fini de la copie. C’est ainsi ! » L’un d’entre eux signera sa mort, rappelle-t-il, et ce pacte signé avec les mots et la mort depuis plus de 35 ans lui sera fatal. Il l’accepte. (…)

Extrait du texte d’Isabelle De Maison Rouge : Je suis rentrée dans un tunnel, comme aspirée. 2024