Sculptures

Stasis

(…) Pour parler des « Stasis », cette série de sculptures commencée au début des années 2010, il me faut évoquer la Nature Morte. Ce genre ne cesse de mobiliser mon attention tant il accompagne mes rêveries. L’image, comme la sculpture, entretiennent un rapport au temps d’une grande complexité. En effet, tout en fixant un temps court, elles couvrent le temps long. La Nature Morte, plus que tout autre genre pictural, met en avant cette alchimie temporelle. Parfois considéré comme mineure, et compte tenu de l’épouvantable misogynie de l’art, souvent féminisée, (par opposition avec la virilité de la « grande » peinture), cette peinture de l’intime parvient à convoquer les mystères du temps. Dans un jeu subtil qui entrecroise la vie, la mort, l’attirance et la répulsion, elle arrive à tisser les temps cycliques et linéaires, l’inertie du temps inorganique et la vitalité fugace du biologique.

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Entre ces tenailles temporelles, nos passions et nos désordres se retrouvent comme dénudés devant un miroir. Ils n’en sortent pas apaisés, bien au contraire, mais le ralentissement du flux vital, tout en évoquant une mort inévitable, dessine en creux toute la force et la turbulence de la vie. Il me vient des images similaires quand je pense aux racines de banians enlaçant les pierres des temples d’Angkor, au Cambodge. Deux puissances opposées, deux titans comme surpris en un troublant baiser. Le temps du temple, puissance humaine louchant sur la vanité d’une éternité mise en scène dans sa relation privilégiée aux dieux, et le temps de la nature, tout à l’ouvrage dans ses temporalités cycliques, métamorphiques, sourd et aveugle aux vanités humaines. Or, cette étreinte improbable n’est envisageable que dans l’idée simple et magnifique de ralentissement. Concept coincé entre l’arrêt et le mouvement, la stase est ce temps où l’écoulement, le flux ralenti pour pratiquer d’incestueuses unions avec l’immobilité. Ainsi, le corps, la connaissance, la passion, en pratiquant ces stases que la Nature Morte met en évidence depuis plusieurs siècles, parviennent à flotter dans les eaux troubles que les subtilités linguistiques mettent en opposition : « Nature Morte » en français, « Still Life » en Anglais. Ma maîtrise des techniques hyperréalistes, acquises il a longtemps, me permettent, tout en m’affranchissant de ses objectifs consistant à tromper l’œil, de loucher sur un clignement d’éternité. (…)

Extrait de l’entretien « Les pas de Côté », avec H. L. (2021).