Planqué dans l’Atelier (1995-2015).
Il est inattendu d’inscrire les photographies des Planqué dans l’atelier dans un corpus de sculptures mais Gilles Barbier y tient. Il s’explique :
« Je ne suis pas photographe, loin de là. Je m’amusais à construire un réseau de flèches indiquant une région de l’atelier. Ces flèches, faites de bric et de broc, n’étaient identifiables que depuis un point précis, ce point qu’on appelle en optique la « place du roi ». Puis je bricolais une cachette au point de fuite et disposait l’appareil photographique au bon endroit. Je travaillais seul et il me fallait actionner le retardateur pour me laisser le temps de courir me cacher. Je faisais de nombreux essais et, dans la précipitation, il m’arrivait de glisser ou de trébucher dans le bazar de mes installations. Je me cassais la figure et il fallait tout reconstruire et tout régler minutieusement à nouveau. Ces sculptures étaient délicates et fragiles, mais surtout impitoyablement ordonnées sous leur apparent désordre ».
Extrait d’un entretien avec Tom Collins, (Henry Art Gallery, Seattle, 1999).
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Jean François Taddei : « Gilles Barbier ».
À voir toutes les flèches qui convergent vers lui, vers ce point précis où il ne peut plus s’enfuir (point de fuite, si on veut le dire autrement), on pourrait croire qu’il vient d’inventer la perspective et que pour le punir de ce forfait, ses propres archers le mettent à mort. Flèches de tout bois. En haut à gauche la flèche noire. À droite le miroir, son reflet. En bas à gauche le bois dont on fait les châssis et pour la points, deux rouleaux de papier ou de toile. Par terre, au milieu, des fonds de bouteilles en plastique, pauvres pots de peinture alignés : au bout, divers outils formant pointe. Où se cache l’artiste, Quel est le nom du martyr ?
Apparition, disparition, occupation, reproduction, épuisement sont les registres les plus fréquents du travail de Gilles Barbier. En 1996, quand j’écrivis ce petit texte sous forme de devinettes, je pensais que la série des photographies Planqué dans l’Atelier occupait une place marginale dans son œuvre. Je me trrompais. Outre le fait que la pluspart des expositions de cet artiste ne sont au fond que des extension de l’espace matriciel et expérimental de l’atelier, on y trouve une grande part de son vovabulaire. Il s’agit plus justement ici d’une variation supplémentaire, qui se rit des médiums au profit de l’incessante circulation de l’énergie, qui se rit de beaucoup de choses pour mieux nous les dire.
Jean-François Taddei, 2002.
(…) J’ai exposé « Planqué dans l’atelier » la première fois au Landesmuseum de Graz, à l’occasion de la Triennale Autrichienne de Photographie, en 1997. Mes « Planqué » étaient très bien accrochés, dans une grande salle. Le soir du vernissage, j’étais curieux de voir comment le public allait réagir. Je me suis assis sur un banc et j’ai regardé le défilé des amateurs d’art. La grande majotité passait son chemin, certainement désespérée par l’ineptie de ces photographies sans sujet, mal prises, mal éclairées, mal développées… Mais parfois, quelqu’un s’arrêtait, sans doute intrigué par le titre et, après quelques instants, inévitablement, éclatait de rire. Puis passait à la photographie suivante, l’air réjoui. Cette expérience a été décisive. J’ai compris combien syntaxe et construction était vitales dans le dispositif sensible des images. Mais aussi que les déchiffrer nécessitait un effort, de la patience, de l’attention, et que la récompense à cette épreuve procurait une véritable jouissance esthétique. Que le beau, ou le goût, n’avaient rien à faire dans cette histoire. (…)
Extrait d’un entretien avec Christoph Doswald (Menschen – Bilder in der Fotographie, 1999).