Peintures

Méditation sur la Première Page.

La peinture est un fantasme. Malgré ses morts annoncées, chroniques ou cérébrales, elle finit toujours par revenir, comme un fantôme. Ce revenant avait déjà hanté l’œuvre de Gilles Barbier avec les Hawaiian Ghosts où le linceul, dernier vêtement porté par le supposé défunt, retrouve les attributs d’une toile apprêtée pour le peintre, qui y dépose les fleurs du renouveau. À cette approche oblique de la peinture, il faudrait ajouter qu’il s’agit là de peinture à l’eau. De la gouache plus précisément. Tout le monde connait la chanson. Aussi est-il inutile de s’appesantir sur l’éventuelle charge critique de ce choix. Simplement rappeler que Gilles Barbier, depuis ses débuts, certainement par pur esprit de contradiction, insiste sur cet usage de la peinture légère, des techniques humides. Cette peinture des illustrateurs et des dessinateurs de BD, une peinture sans épaisseur, qui se travaille sur le papier, et que l’absence de liant fixateur rend fragile comme la poudre des ailes de papillons.

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Pourtant, Gilles Barbier n’est pas un bleu quand il s’agit de peinture à l’huile, celle de la grande peinture. Les techniques de glacis à l’ancienne, les liants, pigments et toute la cuisine qui accompagne ce médium n’ont pas de secret pour lui. En effet, en 2005, en privilégiant la résine à la cire comme technique de moulage, il perd la profondeur naturelle de ce matériau et doit reprendre à zéro la mise en couleur des surfaces. Or, que peint-il ? La peau humaine, les fruits, la viande écorchée, le faux bois… Il se tourne alors vers une peinture qu’il admire depuis toujours, la Nature Morte Hollandaise. Il en apprend les techniques, mais celles-ci restent dédiées à la production de sculptures, notamment quand il s’agit de séries comme les Pions,  les Stasis ou Habiter.

Durant les confinements liés à l’épisode COVID, Gilles Barbier commande 10 châssis entoilés, prêts à peindre. Ils resteront dans leur emballage un certain temps, mais l’idée de peinture à l’huile fait son chemin. C’est par le livre, encore une fois, que l’artiste entre enfin dans son projet ; utiliser à fond la technique stratifiée du glacis, mêlant palimpseste, Wunderblock et géologie. Cette entrée, ou Méditation sur la Première Page, montre le chemin du regard lorsque nous ouvrons un livre à la première page. Celle-ci est vierge, mais plus le papier est fin, plus la lumière pénètre le volume, dévoilant en filigrane les premières pages d’écriture, un coup à l’endroit, un coup à l’envers. Le livre à venir apparait alors dans sa profondeur physique. L’artiste met en place un protocole de travail. Il commence par la dernière page à apparaître dans l’épaisseur du papier. Puis la recouvre d’une couche de peinture diaphane, de couleur ivoire de papier. Puis recommence l’opération, remontant ainsi jusqu’à la surface, page après page, couche après couche.

Le processus excessivement long de cette approche de la surface picturale définit un temps de production d’une extrême lenteur. Ce ralentissement, l’artiste l’accepte volontiers, il rejoint le temps de la méditation, et de la question que pose le devenir de cette géologie de papier.

C.S.

Références : Moscou-sur-Vodka, Le Réel.