« Le Cockpit, le Vaisseau, ce qu’on Voit depuis le Hublot ».
Espace Claude Berri, Paris, 2008.
Tout Gilles Barbier est dans ce titre d’exposition : on est emporté par un nautile vertigineux et l’on regarde l’état du monde à partir de sa cabine de pilotage. Le monde ? Le grand naufrage, une apocalypse festive et terrifiante. Une luxuriance de thématiques ; le radeau (de la Méduse), microcosme à lui tout seul, la mousse, la chute, les moules, l’épiderme, le texte… Qu’est-ce qu’on va emporter : la Cathédrale de Chartres, les éléphants, Balzac, la théorie des quanta ? L’obsession constante de Barbier étant la copie (le clonage) et la miniaturisation ; cette copie compressée… La copie comme « bégaiement d’espace » dit-il. C’est plus que de l’aviation. On vogue en pleine science- fiction (sa culture de base). « Le vaisseau se déplie, dit-il, depuis ses points nodaux ». On est dedans et dehors. C’est troué de partout.
Lire la suite
Mais le trou, pour ce délirant logicien, n’est pas une absence de matière ! Question de changements de vitesse. Un orifice, c’est de la matière-vite, et le fromage, une matière idéale pour Barbier, ou alors le terreau, taraudé par les lombrics. Le ver de terre étant pour Barbier l’image parfaite de l’individu humain contemporain, c’est-à-dire le consommateur. Le ver mange de sa naissance à sa mort. Il creuse et construit son habitat en mangeant et en digérant son propre réel. Mais le fromage est selon Barbier aussi éloquent que le ver par sa flexibilité cellulaire, sa capacité à changer d’état, son impermanence. Il y a une « Chambre des fromages » dans cette exposition où Barbier évoque différentes scènes de 2001 de Kubrick, de l’émergence du sapiens à l’effacement de la mémoire de l’ordinateur : « Stop Dave, I’m afraid, my mind is going… » dit HAL .
Il faudrait des dizaines de pages pour témoigner de la surabondance hétérogène d’une telle œuvre. Barbier est l’artiste d’une multiplicité telle qu’il aura même prévu une « réserve», ou « richesses entassées» au sein de l’exposition. La nouvelle génération d’artistes dont il est l’un des plus brillants et féconds représentants ne se limite pas au rôle de créateur solitaire traditionnel. Barbier est un concepteur, scénariste, producteur et réalisateur d’une sorte de cinéma à n dimensions. On y rencontre les bulles de la bande dessinée et les phylactères de Fra Angelico, la théorie des fractales et le petit Larousse illustré, les requins et des flatulences, les peaux de bananes et le surf californien, etc… Mais jamais un tel opéra ne suggère les piètres agglomérats citationnels du post-modernisme. La fraîcheur étonnante de Barbier se nomme imagination. Il y avait trop longtemps que l’art contemporain s’en était privé.
Pierre Sterckx, 2008.