Habiter : Festins, viandes, guéridons, plateaux…

L’art, depuis le Moyen-âge, cherche à s’affranchir de l’artisanat, développe sa dimension spirituelle et mentale. Au vingtième siècle, la séparation est consommée, les artistes manipulent des objets fabriqués par d’autres ou, producteurs, font appel à des professionnels pour chaque technique. Barbier prise au contraire le travail d’atelier, le plaisir de parvenir à rendre l’aspect fariné d’une baguette, le glavioteux d’une huître. Obsessionnel, il en contrôle tous les aspects, et découvre sans cesse de nouvelles possibilités. Pourtant, il ne se noie pas dans une quête de la perfection formelle sans fin, comme souvent chez les artistes de l’hyperréalisme. Ce qui l’intéresse, c’est d’établir soigneusement des protocoles de production applicables par d’autres ; d’où ces carnets recensant les couleurs, matériaux, dosages employés. Chaque petit gâteau, poulet est un monde technique dont il nous livre la recette.

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L’hyperréalisme qui caractérise les éléments du banquet sont moulés en résine, composés de plastique, de caoutchouc, de verre, recouverts de peinture en glacis…. Leur solidité semble garantir leur permanence, figé au moment où les festivités vont commencer. L’accumulation affolante de nourriture s’offre et s’étale sur de grandes dessertes, des petits guéridons ou le long d’une table circulaire sans début ni fin, rythmée par les grandes étapes d’un repas : un festin séminal, perpétuel, infini, létal.

Cependant la ressemblance avec des denrées périssables engendre l’idée de décrépitude, de décomposition, comme l’annonce d’un désastre à venir. Cette bombe atomique calorique ouvre une réflexion sur la culture de l’obésité et sur ses corolaires, le pourrissement, l’affaissement. On pourrait dire que ces festins démesurés, ces viandes, s’apparente au potlatch. Ce rite amérindien se résume à faire un présent si énorme qu’il est à jamais impossible de le rendre, mettant ainsi son interlocuteur dans une situation d’obligé, de soumission éternelle. Ici tout est pipé, vous repartirez les yeux pleins mais les mains vides.

Au creux de ce magma alimentaire, de petites architectures modernistes, en équilibre sur ce qui doit disparaître, renvoient à l’instabilité, à l’impermanence, à la fragilité de toute construction, qu’elle soit réelle ou mentale. À la folie de croire que l’on peut construire des temples sur du sable. Sauf ici. Le temps long et le temps court se croisent dans de faux-semblant troublants. Habituellement, vous quittez la table une fois les plats engloutis, nettoyés ; ces Festins continueront de scintiller alors que vous ne serez plus que poussière.

Extrait d’un texte de Sébastien Gokalp pour le catalogue « Festins », 2014.