Quasi Héros.
Les super héros ont ceci de particulier qu’ils ont tous un super pouvoir. Cette singularité, qui les distingue d’une humanité courante, en fait en retour des êtres courts. Si courts qu’on les identifie immédiatement par leur nom, par leur costume. Ils n’ont d’autre identité que celle, envahissante et définitive, que leur confie leur unique qualificatif. Il semblerait que certains d’entre eux, parmi les plus complexes et les plus humains qu’ait pu produire ce genre, souffrent de cette étroitesse. Mais pour la plupart, même scénario, pour l’éternité. Quand Gilles Barbier vous raconte cette histoire, il enchaîne immédiatement sur l’art, sur les artistes. « En pleine guerre froide, alors que le soft power américain est à son apogée, les super héros fleurissent par dizaines. Une armée de têtes de mules bodybuildées, tous coincés dans le carcan que leur impose leur hyper spécialité.
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Ce qui est fou, c’est qu’en art, il se passe à peu près la même chose, au même moment. Les artistes se mettent à produire à travers ce qu’on a appelé un geste. Un geste d’artiste, un geste consacré, un super geste, reconnaissable et identifiable à l’infini. Toute une vie d’artiste réduite à un geste, à une approche, une technique, une posture, un concept. On a celui qui décolle, celui qui accumule, celui qui écrase, celui qui fait des dots, des coulures, des monochromes. Pour l’un, c’est la tautologie, pour l’autre les bandes de couleur, la taille du pinceau… Cette curieuse propension à réduire et à isoler le geste artistique a reçu pour nom de baptême radicalité. Je dois dire que s’il y a une chose au monde qui me terrorise et me donne des cauchemars, c’est bien cette radicalité. Je sais que le monde est devenu friand de la reconnaissance immédiate qu’offre cette sorte d’hypertrophie de l’expression, mais je préfèrerais, en tant qu’artiste, mourir demain que de m’y soumettre ». (*)
Quelques années plus tard, il lance une série de peintures, Les Quasi Héros, dont le pouvoir est bancal, incomplet ou tout simplement inutile, banal, voire rebutant. Il nous dit que sa préférence va à Sixteen Donkeys, à ce héros sorti de nulle part qui simplifie le réel en figures géométriques. Or, Sixteen Donkeys, traduit en français, cela donne Seize Ânes…
(*) Entretien avec Vincent Bernière (2009).