Cosmogonies.
Pour éclairer la manière dont cela fonctionne, j’insisterai sur l’aspect machinique et logicien. Il faut imaginer comme des cœurs – on pourrait aussi dire des logiciels – qui jouent le rôle de machines de production. Autant de dispositifs destinés à produire des œuvres « tout seul », si j’ose dire, de manière mécanique. Pour donner un exemple simple, la copie du dictionnaire est une machine de production. Une fois l’énoncé établi et les paramètres réglés, il suffit de se mettre au travail et les choses se font, presque « hors de soi ». Par ailleurs, l’ensemble des machines de production découle d’un dispositif générique qui fonctionne à la manière d’un automate cellulaire. Je ne vais pas m’étendre sur cette notion, peut-être trop complexe pour s’expliciter en quelques mots, mais rappeler que le premier a. c. a été appelé « jeu de la vie » par son concepteur (John Horton Conway) au début des années 70. Greg Egan a, des années plus tard, magnifiquement utilisé ce concept dans un roman monde : « Permutation city ». Rajoutons qu’un automate cellulaire intègre dans sa conception le milieu depuis lequel elle se développe et que son routage, qui joue sur des règles d’interaction et de voisinage, produit des situations de développement rapide, de panne, de bégaiement cyclique ou encore de mort.
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Ceci étant posé, je me sens plus à l’aise pour décrire la production des « cosmogonies » dont nous parlons. Les « formes de monde » (plat comme une assiette, créé par Dieu ou par des dieux, issu du Big bang, magique ou scientifiquement cohérant) se construisent étonnamment sur un schéma toujours identique ; un postulat d’où sont tirés les axiomes qui en définissent les contours. Tout cela suit la mécanique du sens, si ce n’est que le postulat qui en constitue la source n’est toujours que pure intuition : indémontrable, invérifiable, fortuit, une intime conviction absolument gratuite. De fait, et sans exception, tous les postulats se valent et aucun d’entre eux ne peut prétendre à une quelconque vérité. De fait, une machine de production peut générer du postulat et en tester la validité comme les effets en termes de forme de monde. C’est le jeu auquel je me suis livré, non sans une arrière-pensée critique pour tout ce qui constitue l’univers de l’artiste… J’ai la conviction que tout postulat, qu’il soit d’ordre cosmogonique ou artistique, s’expose comme une singularité si absolue qu’il illustre, en somme, un moment de pure idiotie. Le titre de l’exposition, There’s no Moon without a Rocket, rappelle que je ne place pas mon attention dans la manifestation de ces mondes mais dans ce qui nous y transporte.
Extrait d’un entretien avec Richerd Leydier ( publié dans ArtPress, N° 368, Juin 2010).