Comment entrer dans l’œuvre de Gilles Barbier ? C’est une question posée à la majorité des artistes. Et les historiens seront prompts à vous répondre : par le début. Tandis que les sémiologues vous diront : par sa structure (son signifiant). Mais tout cela n’offrira que de mauvaises lectures. La démarche de Gilles Barbier s’y refuse, et son réseau de terriers creusés et arpentés par des vers peut être approché par n’importe quel bout. Je comprends que cela déconcertera certains, éduqués dans des méthodes de linéarités unifiantes. Mais il faut y insister : entrez par où vous voudrez : le ver, le cosmos, le noir, la bulle bédé, la copie, le pli, le clonage, le sauve-qui-peut, le suicide, le trou, etc.
Entrez et sortez, telle est l’injonction de Barbier,
creusez la terre et jaillissez au ciel. Soit une territorialisation farouche, presque fœtale (le sein maternel comme terreau) et la déterritorialisation surgissante du noir. Le ver pourrait bloquer le désir au fond d’un trou sans issue, mais les planches de surf, cousines des vaisseaux spatiaux, se dressent dans l’azur noir et libèrent ce même désir en paroles proliférantes. Le ver souterrain et aérien est fait d’une même ligne gothique sans début ni fin, un rhizome, un entrelacs. Quelque chose comme les enluminures des Celtes, les nouilles de l’architecture 1900, Pollock, qui se mettraient tous à pulser sur le web.
Quant à la question : mais par où commencer ? N’importe où ? Il y a mille entrées chez Gilles Barbier. Son travail ne cesse de nous apparaître criblé et tentaculaire. On ne demande pas à un tel céphalopode de vous tendre la main droite… (…) Surtout ne pas commencer par un début en déroulant les œuvres sur la pente convenue de la chronologie. Commencer par le début, c’est toujours entrevoir la fin. On étouffe, on meurt d’excès d’historicité en art. Histoire de l’art, histoire de la philosophie, histoire des sciences, etc. En n’enseignant que cela on manque toujours l’immanence des tableaux et des textes. Gilles Barbier, il faut donc y entrer comme ça, par le sentier qui s’offre, le tableau-connexion de l’instant. Ensuite on verra bien comment cartographier son surabondant arsenal d’images et d’idées. Plus c’est hétérogène, chez lui, plus les multiplicités s’entrelacent, et plus il y a d’entrées. Il n’y a ni fin, ni début : juste un milieu
Pierre Sterckx dans : Un Abézédaire dans le Désordre, 2008. (Éditions Du Regard).
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